Page:Boisgobey - Rubis sur l'ongle, 1886.djvu/109

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jamais, si vous continuez à me poser des questions incidentes.

— J’écoute, mademoiselle.

— Alors, je commence. Mais je vous préviens que je vais être obligée de remonter très loin… jusqu’aux premiers jours de mon enfance…

— Ils ne se perdent pas dans la nuit des temps, ces jours-là, dit gaiement Robert. Vous avez à peine dix-neuf ans.

— Peut-être vingt… peut-être dix-huit… je ne sais pas l’âge que j’ai, ou je ne le sais que par approximation.

— Comment cela ?

— Mais oui. Je n’ai pas d’état-civil. J’ignore le lieu de ma naissance, le nom de mes parents, et jusqu’à mon prénom véritable.

— Alors, celui de Violette ?…

— C’est un surnom qu’on m’a donné plus tard. Tout à l’heure, je vous dirai pourquoi. Mais, je vous en prie, ne m’interrompez plus. Le plus lointain souvenir qui me soit resté du passé se rapporte à un fait assez insignifiant. Je n’avais pas trois ans puisqu’une femme… ma nourrice sans doute… me portait dans ses bras. Nous étions sur une terrasse entourée d’eau…

— Une terrasse entourée d’eau, c’est une jetée… un môle, qui s’avance dans la mer.

— On me l’a dit… et je le crois. Il y avait beaucoup de monde sur cette jetée. Je regardais sans voir comme regardent les bébés. Tout à coup, une masse énorme s’avança et passa tout près de moi. C’était comme une maison qui marchait.

— Un navire qui entrait dans le port, parbleu !