Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/68

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seules elles n’ont pas changé ; tandis que des millions d’êtres en ce demi-siècle ont multiplié leurs génuflexions devant tant d’idoles, elles ont tout oublié, tout ignoré, pour le mort qui, pour elles, comme en elles, vit toujours.

Quand elles disparaîtront à leur tour, il quelque chose de leur amour et de leur prière, planera comme un vague parfum d’encensoir dans lourde atmosphère, sous la crypte sombre où lampes s’éteindront enfin.


15 mars 1887, Poste de A. (Annam).



Hier soir, en sortant de table, au moment d’entrer tans mon réduit de fumeur, je regardai par hasard — depuis longtemps je ne regarde plus ainsi — par l’étroite fenêtre.

Or, la pleine lune se levait sur les cai-nhàs noires aux chaumes frissonnants, sur les bananiers, sur le rigide plumeau des aréquiers, dans un ciel clair ; et la fraîche brise du large — une vieille amie depuis des mois oubliée — me soufflait de vierges haleines, salées par les embruns, en pleine figure. Oh ! comme les larmes me montèrent aux yeux ; je regardai le lit de camp, la lampe, le plateau, tout cet arsenal de suicide, et la grille le bois de la fenêtre, et