Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/182

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une crise dont les causes, qui remontent loin, méritent d’être connues. Il faut en dire quelques mots pour qu’on puisse se rendre compte de la grave atteinte qu’avaient reçue les mœurs publiques.

Dans un pays où la famille était respectée comme à Rome, les femmes ne pouvaient manquer d’avoir beaucoup d’importance. Il était impossible que leur influence, qui était déjà si grande dans la maison, n’essayât pas d’en sortir, et la place honorable qu’elles tenaient dans la vie privée devait leur donner un jour la tentation d’envahir aussi la vie publique. Les vieux Romains, si jaloux de, leur autorité, avaient le sentiment de ce péril, et ils n’ont rien négligé pour s’en défendre. On sait de quelle façon ils affectent de traiter les femmes : il n’est sorte de méchants propos qu’ils ne tiennent sur elles, ils les font attaquer au théâtre et se moquent d’elles jusque dans leurs discours politiques[1] ; mais il ne faut pas se méprendre sur le sens de ces railleries et trop plaindre celles qui en sont l’objet. On ne les attaque ainsi que parce qu’on les redoute, et toutes ces plaisanteries sont moins des insultes que des précautions. Ces rudes soldats, ces paysans grossiers ont appris, en vivant près d’elles, combien elles ont l’esprit délié et entreprenant, et par combien d’endroits elles valent mieux qu’eux ;

  1. Au temps des Gracques, le censeur Metellus s’exprimait ainsi dans un discours où il attaquait très vivement les célibataires : « Citoyens, si l’on pouvait vivre sans femmes, nous nous passerions tous de cet embarras (omnes ea molestia careremus) ; mais, puisque la nature a voulu qu’il fût aussi impossible de s’en passer qu’il est désagréable de vivre avec elles, sachons sacrifier les agréments d’une vie si courte aux intérêts de la république, qui doit durer toujours. » Cette façon d’encourager les gens à se marier semblait apparemment très efficace, puisqu’au moment où l’on se mariait moins que jamais, Auguste crut devoir faire relire devant le peuple le discours du vieux Métellus.