Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/310

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réussir dans les choses qu’on entreprend ; il manquait de ce liant qui rapproche les ambitions opposées, qui calme les jalousies rivales, qui groupe des gens divisés d’humeurs, d’opinions, d’intérêts, autour d’un homme. Il ne pouvait être qu’une protestation éclatante contre les mœurs de son temps ; il n’était pas un chef de parti. Osons le dire, malgré le respect que nous éprouvons pour lui, son âme était obstinée, parce que son esprit était étroit. Il ne voyait pas d’abord les points sur lesquels on doit se relâcher et ceux qu’il faut défendre jusqu’à la fin. Disciple des stoïciens, qui disaient que toutes les fautes sont égales, c’est-à-dire, suivant la plaisanterie de Cicéron, qu’il y a autant de mal à tuer un poulet sans nécessité qu’à étrangler son père, il avait appliqué cette étrange et dure théorie à la politique. Enfermé dans la légalité stricte, il en défendait les moindres vétilles avec un acharnement fâcheux. Son admiration pour le passé ne savait pas choisir. Il imitait les anciens costumes comme il suivait les vieilles maximes, et il affectait de ne pas porter de tunique sous sa toge, parce que Camille n’en avait pas. Son manque d’étendue dans l’esprit, son zèle étroit et obstiné, furent plus d’une fois nuisibles à la république. Plutarque lui reproche d’avoir jeté Pompée dans les bras de César en lui refusant quelques satisfactions de vanité sans importance. Cicéron le blâme d’avoir mécontenté les chevaliers, qu’il avait eu tant de peine à rapprocher du sénat. Sans doute les chevaliers faisaient des demandes déraisonnables, mais il devait tout leur accorder plutôt que de les laisser apporter à César l’appui de leurs immenses richesses. C’est à cette occasion que Cicéron disait de lui : « Il se croit dans la république de Platon et non dans la boue de Romulus[1], » et ce mot est resté comme celui qui

  1. Ad Att., II, 1.