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l’académie française au XVIIe siècle.

l’homme de lettres un sentiment de sa dignité qu’il n’avait pas auparavant. Tandis que Malherbe prétendait « qu’un bon poète n’est pas plus utile à l’Etat qu’un bon joueur de quilles », Racine, en recevant à l’Académie le successeur de Corneille, s’élève contre les ignorants « qui rabaissent l’éloquence et la poésie et traitent les habiles écrivains de gens inutiles dans les États ». Puis il ajoute ces belles paroles : « Quelque étrange inégalité que durant leur vie la fortune mette entre eux et les plus grands héros, après leur mort cette différence cesse. La postérité qui se plaît, qui s’instruit dans leurs ouvrages, ne fait point de difficultés de les égaler à tout ce qu’il y a de plus considérable parmi les hommes, et fait marcher de pair l’excellent poète et le grand capitaine ». Je me demande si quelques années plus tôt on aurait osé parler avec cette fierté et cette assurance. Je ne puis m’empêcher de remarquer aussi que la littérature a chez nous, surtout depuis cette époque, un caractère qu’on ne lui trouve pas au même degré chez les autres peuples. Nulle part elle ne tient une aussi grande place dans la vie de la nation ; nulle part elle n’a pris d’aussi bonne heure une telle importance politique et sociale. Quand on ne la regardait ailleurs