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CHANT IV



Dez que l’astre du jour achevant sa carriere,
Dans le sein de Thetis eût caché sa lumiere,
Lutrigot tout rempli de projets éclatans,
Va relire avec soin ses escrits importans,
Et content de sa peine, et de son grand ouvrage,
Ce narcisse orgueilleux se mire à chaque page.
Il ne consulte plus que son ambition,
Il veut bien qu’il paroisse avant l’impression,
Il le lit à Garrine, il le lit à Rigelle,
Il va le reciter de ruelle en ruelle,
Il mandie en tous lieux quelque aplaudissement,
Et par son ton de voix il impose aisément.
Tel avec moins de bruit, moins d’art, et moins d’haleine,
Le savoyard chantoit sous la samaritaine.
Déja quelques rieurs avoient presque en tous lieux
Porté de Lutrigot le renom jusqu’aux cieux,
Et son ame en secret d’un tel plaisir pâmée,
Joüissoit de sa gloire, et de sa renommée ;
Quand Terpsicore aprit par la voix des flateurs,
Que cet autheur sçavant charmoit ses auditeurs.
Elle vole à l’instant aux rives de Permesse,
À vanter le lutrin cette muse s’empresse,
Apollon et ses sœurs veulent bien l’écouter ;
Mais ce dieu peu credule ose encor en douter.
Je veux croire, dit-il, que c’est un beau poëme,
Mais Terpsicore enfin l’avez-vous leu vous-méme ?
Non, lui répond la muse. Et bien, repart le dieu,
Amenez promptement Lutrigot en ce lieu.
Il doit être permis aux jours des saturnales
De chercher des plaisirs, des jeux, et des regales,
Qu’il vienne donc ce soir ; mais pour nous divertir,
Poursuit-il en riant, il faut nous travestir.