Page:Bonnerot - Romain Rolland sa vie son oeuvre.djvu/103

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simple, me repose des phrases artificielles, bourrées jusqu’à en éclater de mots à effets et d’adjectifs à parures ; j’aime mieux la lueur douce et sans tremblement de ma vieille lampe, coiffée de l’abat-jour cartonné, que l’éclat dur, scintillant et aveuglant d’une ampoule électrique. Mais je craindrais l’ennui si, de page en page, dans ce style silencieux, n’éclataient, impérieusement comme une fanfare, une invective lyrique, un dithyrambe enthousiaste, ou si l’idée trépidante, vibrante soudain dans un coup d’aile, ne s’élargissait, éternelle et dépassant l’humanité, dans une formule martelée, splendide et brutale comme une strophe classique. Il évite tout ce qui, douceur séductrice des mots, périphrases ingénieuses, rythme balancé des périodes, pourrait sembler de l’art pour l’art, détourner l’attention et recouvrir, jusqu’à la cacher, l’âme de l’œuvre : la pensée. Et cependant, ce style uniforme et sans éclat, ce style journalier qui paraît fuir au courant de la plume sans ratures, arrive à ce miracle de se faire oublier ; on n’entend plus le son des syllabes, on ne voit plus le dessin imprimé des lettres, on perçoit par delà les mots, par delà les phrases, l’horizon d’un décor, le paysage d’une pensée ; on est en dehors du livre, on comprend, on vit avec l’idée ; on est, pendant quelques pages, dans un état de rêve et de béatitude.

Et l’on pense aux conseils[1] de Christophe à Olivier : « Ne t’inquiète point du verbe, des recherches subtiles où s’énerve la force des artistes d’aujourd’hui. Ce ne sont pas des paroles que tu dois dire, ce sont des choses. Tu parles à tous : use du langage

  1. À rapprocher du jugement très fin de Vernon Lee, sur le style de R. Rolland. Cf. ibliographie n° 184, p. 589.