Page:Bonnerot - Romain Rolland sa vie son oeuvre.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parler de moi-même, je parlerai de moi-même, sans masque et sans prête-nom. Bien que j’aie transposé dans mon héros certaines de mes pensées, son être, son caractère et les circonstances de sa vie lui appartiennent en propre. »

Clérambault est un poète, un homme doux et bon, pur de cœur et faible de caractère, qui vit heureux et paisible entre sa femme Pauline, sa fille Rosine et son fils Maxime. Il est pacifiste et démocrate, et s’est fait « l’interprète de toutes les idées nobles et humaines ». Quand la guerre éclate, il s’enthousiasme : un patriotisme ardent a fait place à sa foi pacifique ; son fils est mobilisé ; c’est la guerre dernière, celle qui mettra fin à la guerre elle-même ; à l’offensive de printemps, Maxime tombe et, confondu parmi les milliers de morts anonymes, est porté disparu. Angoisse du père qui cherche, implore un renseignement, et qui, en dix jours, vieilli, cassé, épuisé, comprend enfin douloureusement que son fils est mort, « le plus cruel n’est pas encore de le perdre, c’est d’avoir contribué à sa perte, » et s’écrie, dans son exaltation fiévreuse : « Le sang de mon fils est sur moi… je lui ai fermé les yeux, il me les a rouverts. » Déjà, confusément, se prépare dans son esprit un revirement terrible. En vain, il fait le tour de ses amis, essayant de lire en eux, d’écouter, d’observer : les professeurs lui apparaissent comme étant tous rhéteurs, sophistes et procéduriers ; les écrivains poètes ou romanciers ignorent tout et parlent à tort et à travers ; « stupide envoûtement des mots abstraits ! À quoi sert-il de détrôner les rois et quel droit de railler ceux qui meurent pour leurs maîtres si c’est pour leur substituer des entités tyranniques qu’on revêt de leurs oripeaux ? » et Clérambault s’emporte contre cet « idéalisme menteur et maladif… L’homme voit, dans les idées pour lesquelles il combat, sa supériorité d’homme. Et j’y vois sa folie. » (p. 110). C’est, à vingt ans de