Page:Bordier - Ambassade en Turquie de Jean de Gontaut Biron, baron de Salignac.djvu/122

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que poulles d’Indes, oyes, poulles, canards et autres volatiles, les baillant à garder à certins gens commis à la garde de ces troupes diverses qui les mainent paistre aux champs. Et sur le jour, les garçons ou femmes ou filles qui les gardent au logis, les sifflent et appellent avec leurs appeaux dont ils les réclament et font libremant venir à eux ainsy que poulles et canards, tant elles sont naturellemant privées. Aussy les gens sont ils extresmemant soigneux de les prendre trois ou quatre jours après qu’ils sont esclos, et leur font manger du grain qu’ils mêlent dans leur bouche affin de les rendre plus domestiques, et leur faire reconnaistre l’appeau dont ils les réclament. De manière que ceste ile est tellemant remplie de perdrix, qu’il se peut dire qu’elle en fournit toutes les autres. Mr l’ambassadeur ayant receu tant d’honneur et faveurs des principaux de la ville, et les remercia tous honestemant, rendant à chascun les compliments convenables à leur qualité. Lesquels se retirèrent très contants et satisfaicts les uns des autres. Or estoit il que, durant nostre séjour, il y avoit dans le port de Scio 20 ou 25 gallaires de l’arme du Grand Seigneur, qui tous les ans font revue autour de la mer Blanche[1], partant de Constantinople le mois de juin, y retourner au mois de novembre, faisant tousjours séjour en Scio 15 ou 20 jours pour leurs remettre et rafreschir, combien qu’ils ne se travaillent grandemant. Lesquelles gallaires sortirent du port le dimanche 5 de décembre pour retourner à Constantinople; ce qui nous fit résoudre de faire voille le lendemain, bien que le vent ne nous fust tant favorable qu’il nous estoit besoin. Mais les mariniers ont ordinèremant ceste coutume de juger de l’ocurrence des choses à leur avantage; en quoy ils se trompent le plus souvant, comme arriva lors, car bien que le vent se tournast en ponent, propre à nostre navigation, néanmoins, il estoit sy frais et le temps sy fâché et obscur qu’il démonstroit apertemant nous menasser d’orage et grand tempeste. Lors estoit à Scio près le seigneur ambassadeur, un patron de gallaires appelé patron Jean, marseillès, autant expert en l’art de la marine qu’autre qui se peut trouver. Lequel avec d’autres mariniers, ne le conseilloit point

  1. Mer Blanche ou mer Egée ou Archipel.