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MADAME PUTIPHAR.

sur toutes, pourquoi son doigt pousse-t-il parfois dans l’abyme, pourquoi sa sollicitude est-elle parfois si funeste ?

Les savants, pour qui rien n’est ténébreux, diront que la destinée de l’individu dérive immédiatement de son organisation ; que l’homme sans perspicacité sera dupe, que l’homme fin sera dupeur, et saura éviter les pierres d’achoppement où le premier trébuchera. — Mais, pourquoi celui-ci est-il rusé, et celui-là est-il simple ? Etre simple et bon est-ce un crime qui vaille le malheur et le supplice ? — À quoi les savants répondront : Celui-ci est simple, parce qu’il a la protubérance de la simplicité ; et celui-là est fin, parce qu’il a la protubérance de la finesse. — Bien, mais pourquoi celui-ci a-t-il cet organe qui manque à l’autre ? Qui a présidé à cette répartition ? Quel caprice a donné à l’un la bosse du meurtre, et à l’autre la bosse de la mansuétude ? Si dès la procréation, ce caprice a départi les bonnes et les mauvaises qualités des êtres, il a départi leurs destinées : les destinées sont donc écrites ; il y a donc un destin ! L’animal n’a donc pas son libre arbitre : il n’a donc pas le choix d’être doux ou d’être féroce, de souffrir ou de faire souffrir, d’aimer ou de tuer. — Les savants se lèveront et répondront encore : — Il n’y a ni bonne ni mauvaise passion : c’est la société qui postérieurement est venue, et qui a dit : Ceci est mal, ceci est bien. Ceci est bon parce que ceci m’est profitable ; ceci est mauvais parce que ceci m’est nuisible. — Soit : mais si les hommes