Page:Bornier - Poésies complètes, 1894.djvu/26

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Il marche avec angoisse au rocher le plus proche ;
Guidé par un espoir, soudain se ranimant,
Il va coller sa bouche aux fentes de la roche,
Jusqu’à ce qu’un reptile en sorte lentement.

Le cerf avec ardeur aspire la vipère,
La couleuvre ou l’aspic d’où son salut dépend,
Et, quand vient la torture affreuse qu’il espère,
Il s’élance, le cœur mordu par le serpent ;

L’horreur de son supplice a ravivé sa force ;
Il franchit les ravins en bonds démesurés,
Des chênes, en passant, ses pieds brisent l’écorce
Et le serpent, toujours, mord ses flancs déchirés ;

Le cerf emporte au loin cet horrible convive ;
Plus grande est sa douleur, plus son espoir est grand :
S’il trouve avant le soir des fontaines d’eau vive
Pour tuer le reptile en s’y désaltérant,

S’il peut boire assez tôt les flots purs d’une source,
Aux jours qu’il a vécus vingt ans vont s’ajouter ;
Aussi, comme il écoute, au milieu de sa course,
S’il n’entend pas vers lui le bruit des eaux monter !

Il se trompe souvent ! Vers plus d’une onde impure
Il se penche, parfois il goûte aux flots troublés,
Et le breuvage immonde ajoute à sa torture
Et son ardeur s’épuise en élans redoublés ;