Page:Bornier - Poésies complètes, 1894.djvu/53

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Ce concert de tes jours que le maître divin
Dirige, on ne le peut bien juger qu’à la fin !
Tes amis, tes rivaux et tes ennemis même
Obéissent au Dieu qui t’éprouve et qui t’aime ;
Dans l’ordre de ta vie ils viennent tour à tour
Se ranger, travailler à leur place, à leur jour :
Cette voix, dont l’écho caresse encor ton âme,
C’est la voix de ta mère, ange au regard de femme ;
Cette autre, c’est la voix du père grave et fort
Qui prépare ton cœur aux orages du sort :
Cette autre dont l’accent te pénètre et te charme,
C’est ta plus douce joie et ta plus douce larme,
C’est ton premier transport, c’est la vierge au front pur,
Et deux cœurs tout d’amour sous un ciel tout d’azur !
Maintenant, cette voix qui menace et qui gronde,
Ce cri rauque et strident troublant ta paix profonde,
C’est ton premier malheur, ton premier désespoir,
C’est l’ennemi qui vient, rampant, hideux à voir,
C’est l’amour sans vertu, le faux plaisir, la fièvre,
C’est la femme qui ment, le sourire à la lèvre,
Le calomniateur et le lâche au front bas,
C’est l’abandon, le deuil, les doutes, les combats !
— Et tu souffres alors, toi qui rêvais d’entendre
Toujours des mots flatteurs dits par une voix tendre !
Amoureux de l’azur, tu demandes pourquoi
Le ciel laisse passer des nuages sur toi ;
Dans ton cœur inquiet tu fais la solitude,
Et tu fuis l’amitié pour fuir l’ingratitude !