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CHAPITRE VII.

Cette fois le Nain rouge avait été moins sévère qu’il ne l’est habituellement : heureuse enfance ! les bonnes grâces et l’indulgence de tous sont pour cet âge.

Parmi les esprits familiers et domestiques, dont nous venons d’entretenir nos lecteurs, quelques-uns font choix d’une personne, à laquelle ils s’attachent, et qu’ils servent fidèlement, soit qu’ils aient été liés par un pacte à cet effet, soit qu’ils en agissent ainsi de leur propre gré et par inclination[1]. Au xvie et au xviie siècle, on supposait encore que les hommes remarquables agissaient sous l’influence d’esprits qui leur étaient dévoués, et auxquels ils devaient leur génie, leur courage et leur fortune. Cette croyance singulière date de loin : Wace raconte que l’archevêque de Rouen, Mauger, qui excommunia Guillaume-le-Conquérant, que celui-ci fit ensuite déposer, et que tous les historiens accusent de mauvaises mœurs et de magie, avait un Lutin nommé Toret[2], qui obéissait à son commandement, mais que personne ne pouvait voir :

Plusors distrent por vérité
Ke un déable aveit privé ;
Ne sai s’esteit lutin u non ;
Ne sai nient de sa façon ;
Toret se feseit apeler,
E Toreit se feseit nomer.
E quant Maugier parler voleit,
Toret apelout, si veneit ;
Plusors les poeient oïr,
Maiz nus d’els nés poet véir[3].

On connaît, en Basse-Normandie, une sorte d’Esprits appelés les Lubins[4]. Ils se déguisent en loups et vont rôder la nuit, cherchant à entrer dans les cimetières, sans doute pour s’y

  1. Vigneul Marville, Mélanges d’hist. et de litt., t. i, p. 197.
  2. M. Aug. Le Prévost (Notes du Roman de Rou) suppose que ce nom est un diminutif de Thor ou Thur, divinité du Nord.
  3. Wace, Roman de Rou, t. ii, v. 9713.
  4. Pluquet, Contes populaires de l’arrondissement de Bayeux, p. 14.