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Page:Bossange - Histoire apocryphe de la France de 1830 jusqu'à nos jours, La Gazette de France, 15 nov 1841.pdf/7

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l’université sa plus belle gloire. Le savant professeur Guizot avait lu le roman politique dont je vous ai parlé, et ne pouvait s’empêcher de le relire sans cesse. Il était indigné du râle épouvantable qu’on lui faisait jouer dans cet ouvrage d’imagination. On y supposait qu’il avait été plusieurs fois ministre par suite d’intrigues parlementaires, qu’il avait donné des ordres impitoyables, et voulu gouverner par l’intimidation ! On lui faisait porter une main parricide sur la liberté de la presse, et on abaissait son caractère de citoyen au point de le représenter comme le jouet complaisant de la diplomatie anglaise ! Ambassadeur nommé par M. Thiers, il le trahissait pour le renverser et le remplacer ! — M. Guizot s’arrachait les cheveux de désespoir ; il tomba dans un long délire, et s’écriait sans cesse : « Non, cela est faux ; je ne suis pas un austère intrigant, je ne suis pas un mauvais Français ! »

Il fallut le saigner abondamment, lui donner des douches glacées et le garder à vue. Le savant docteur Blanche imagina de le revêtir de sa robe de professeur d’histoire, de le coiffer du bonnet carré et de le placer ainsi devant une glace. Ce stratagème réussit complètement. En se voyant professeur, le malade oublia qu’on l’avait supposé ministre. Il recouvra la raison en grande partie, et pleura de bonheur à la seule pensée que, grâce à Dieu, il n’avait eu que le cauchemar. Cependant il voulut une sorte de réparation, et se résolut à intenter une action en calomnie contre le Journal des Débats qui avait inséré le roman politique dans ses colonnes. Le journal fut condamné à l’unanimité et ses abonnés le quittèrent, ce qui lui fut plus sensible que la condamnation. Ce fut le seul exemple d’un procès de la presse pendant ces onze années.

Et maintenant, comparez ces deux histoires et choisissez ! Dans l’une, la France est grande, puissante, riche et heureuse ; dans l’autre, elle est petite, faible, pauvre et malheureuse. — Dans la première, qui est la vraie, M. le duc d’Orléans est l’homme le plus considérable et le plus aimé de la terre ; on se presse dès qu’il paraît et on le porte en triomphe. — Dans la seconde, où il est connu sous le nom de Louis-Philippe, il est accablé de soucis entouré d’ennemis, menacé par d’infâmes sociétés secrètes sorties des barricades, et le point de mire de lâches meurtriers ! Il tremble même pour ses enfans ; ce qui est la plus grande torture qu’un homme puisse éprouver ! — Dans mon histoire apocryphe, toutes les places sont données au mérite. ; il ne faut que du talent pour parvenir, chacun a sa fortune dans sa main. — Dans l’histoire de la prétendue révolution, les fonctions publiques sent le prix de la faveur, la monnaie de la corruption, et nul n’est sûr de son lendemain.

Croyez-moi, la mienne est la vraie, et j’en sais quelque chose puisque c’est en récompense de bientôt dix années de travaux dans la Gazette que j’ai été nommé historiographe de France, glorieuse tâche que je viens de remplir à ma satisfaction personnelle, — et j’oserai dire à la vôtre, si, comme moi, vous aimez les beaux rêves.

A. BOSSANGE.