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GILLES DE RAIS.

les grandes Universités de Paris, d’Angers, de Lyon et d’autres villes de France, attiraient la jeunesse de toute l’Europe. Quelque chose de ce qui eut lieu cinq siècles plus tard, sous Louis XIV, se passa alors en Occident : la littérature française donna le branle à toutes les littératures. Transportée par delà de la Manche sur les vaisseaux de Guillaume le Conquérant, elle s’y implante par la force ; une conquête plus pacifique la fait entrer à la cour de Frédéric II d’Allemagne ; l’Italie elle-même, qui paraît devoir être toujours la terre de la littérature et de l’art, voit ses meilleurs auteurs écrire en français. En vain plusieurs esprits, comme Benvenuto de Imola, s’élèvent contre cette mode de ne lire et de n’aimer que le français ; ces voix patriotiques ne trouvent pas d’échos : Marco Polo continue d’écrire ses voyages en français ; le maître de Dante, Brunetto Latini, déclare, en français, que cette langue est « le plus délitable langage et le plus commun », c’est-à-dire le plus répandu ; les étudiants de toutes les parties de l’Europe, italiens, anglais, allemands, affluent de toutes parts vers Paris ou en reviennent, comme le sang des parties les plus éloignées du corps arrive au cœur pour s’y refaire, et part ensuite de ce centre de la chaleur pour aller porter à ces mêmes extrémités le mouvement et la vie.

Mais, peu à peu, la philosophie, sous le souffle de la chicane, perdit tout son éclat ; au vent des guerres civiles, les lettres elles-mêmes bientôt s’éteignirent. Il arriva après saint Louis, par suite des invasions anglaises, ce qui advint après la mort de Charlemagne, par suite des invasions normandes : au sein des Universités, les grandes voix des docteurs demeurèrent silencieuses, et l’on n’entendit plus que les cris sauvages des nouveaux barbares qui se livraient dans l’ombre de gigantesques et stériles combats[1]. Si l’on

  1. Ozanam a dit : « Les intelligences d’élite, comme le pieux Gerson, se consolaient dans la solitude, avec les œuvres des vieux maîtres, du spectacle fatigant d’une société corrompue et des disputes d’une école dégénérée. » (Ozanam, Dante et la philosophie, catholique au XIIIe siècle, Paris, 1839, p. 85 ; Voir aussi p. 91 et suivantes.)