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Page:Bouasse - Pendule spiral diapason, tome 2, 1920.djvu/8

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viii
DES SAVANTS

dans un pays où le verbiage est tout (acute loqui), où par malheur tout le monde acquiert aisément un mince vernis de science au rabais, c’est à qui méprisera le voisin du haut de ses diplômes, certificat primaire, bachot ou doctorat, qui finissent par s’équivaloir dans une nullité commune.

Si nous avions un peu davantage le sentiment de la continuité des fonctions sociales, complété par le sentiment qu’à tout degré de l’échelle il y a place pour des hommes éminents, les savants ne s’imagineraient plus être sortis tout droit du cerveau de Minerve, en tant que savants et indépendamment de leur médiocrité individuelle, hélas ! trop fréquente.

En voyage, où l’on est forcé de faire connaissance, mes bons amis, c’est une volupté suprême d’être pris d’abord pour un marchand de cacaouetes ; au bout de dix phrases, en apparence insignifiantes, vous sentez qu’on vous regarde avec une sorte d’étonnement.

Au bout d’une heure, on finit par désirer savoir qui vous êtes, ne pouvant discerner quel est votre métier, dans la compréhension quasi universelle que vous prouvez, Vous êtes délicieusement vengé, du mépris avec lequel on regardait d’abord votre veston de mauvaise coupe et vos grossiers godillots ; on vous fait naïvement des excuses pour ne pas avoir d’emblée reconnu votre supériorité.

Mes bons amis, travaillez pour éprouver un jour cette jouissance : quand vous l’aurez une fois goûtée, vous ne rechercherez plus rien d’artificiel qui vous distingue….. : vous n’en aurez plus besoin.

La Science devrait être l’école de la conscience.

Est-ce possible ? Pour le savoir, étudions les formes que prend l’arrivisme chez le savant.

D’abord l’économie des idées. On n’en a pas beaucoup ; il ne faut donc passes gaspiller. Mon père me racontait en riant une conversation entendue jadis chez l’amiral Mouchez. Berlin donnait des conseils à un débutant. Avec son air bonhomme et finaud il lui disait : « Une note à l’Institut, vous n’y songez pas, mon cher ! il y a certainement matière pour deux notes, peut-être trois. Dans la première vous ferez prévoir à mots couverts les résultats de la seconde, qui prépareront ceux de la troisième où vous résumerez les précédentes. »

On n’a pas beaucoup d’idées : si l’on tapait ses collègues ! Voici la méthode du parfait tapeur. Il entre dans votre laboratoire d’un air souriant ; il vous raconte ses expériences que vous trouvez parfaitement stupides. Serviable, vous expliquez au de cujus qu’on pourrait essayer cela, puis ceci, puis encore autre chose.

« J’y pensais », répond-il, puis il s’en va. Vous êtes tapé !