Page:Boucher de Perthes - De la misère.djvu/81

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vresse ; l’une est presque toujours la suite de l’autre ; la misère accepte l’ivrognerie comme distraction, comme moyen de s’étourdir, et l’ivrognerie, enlevant le nécessaire ou ce qu’exige le besoin réel, la faim, pousse au crime. Hâtez-vous donc de ramener le peuple à la tempérance ; n’épargnez pour cela ni soins, ni démarches ; proposez des médailles, des primes aux artisans qui, pendant un certain nombre de semaines, n’auront point été ivres ; faites qu’ils se surveillent entr’eux, qu’ils s’avertissent et se réprimandent. Il y a peu à faire pour les y amener, car cette censure réciproque existe déjà dans certaines corporations, dans quelques sociétés industrielles.

Plusieurs grandes manufactures ont un jury composé d’ouvriers élus par leurs camarades. Ce tribunal juge tous les faits d’inconduite, de paresse, d’ivrognerie, tous les désordres dont les ouvriers se rendent coupables. Il porte la sentence qui est sans appel ; il décide quelle est la punition applicable, c’est ordinairement une amende, versée dans une bourse commune. Tâchez d’établir partout de ces assisses contre le désordre et les mauvaises mœurs.

Une précaution facile et que l’administration pourrait prendre immédiatement, serait de diminuer le nombre des débits de liquide, qui, partout ouverts sous les pas du malheureux, sont une tentation toujours présente. S’il n’y avait qu’un cabaret, au lieu de dix par rue ou par village, le passant songerait moins à boire, et le sou destiné au pain de sa famille ne serait pas jeté dix fois par jour sur le comptoir d’un bouge. On ne voit pas d’ivrognes ou l’on en voit peu dans les communes où il n’y a pas de cabarets, et ces communes sont ordinairement sans misère. Qu’on y ouvre un débit de boisson, le mois suivant vous aurez des ivrognes, et avant un an des mendians. — Éloignez donc la tentation des yeux du pauvre, atténuez-là du moins ; ne tolérez de cabarets que là où ils sont indispensables, s’ils peuvent l’être