Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la terre, à côté, n’est qu’une pauvre aérolithe, il existe des êtres dont la taille est en rapport avec les globes qu’ils habitent, ces êtres doivent considérer nos batailles du même œil que nous voyons celles de deux fourmilières se disputant le même trou.

Je ne sais pas si les fureurs des hommes s’entre-tuant réjouissent les autres races, mais je fus étonné de la quantité d’oisillons gazouillant dans ces champs, perchés sur chacune de ces mottes de terre qui recouvrent un cadavre. Je crus d’abord que c’était un passage, mais ce n’était pas la saison, et mon guide me dit que cela avait commencé dès le surlendemain de la bataille. D’un autre côté, je vis que les taupes et les mulots s’étaient mis de la partie. Quant aux larves et aux insectes, ils y fourmillaient : il semblait que des représentants de tous les êtres avaient été conviés à ce banquet.

Je n’entrerai pas dans des détails qui ne seraient que la répétition bien affaiblie de tout ce qu’on a écrit sur cette bataille et le lieu où elle se donna. Grâce à la photographie et à nos journaux illustrés, les plans et les scènes de carnage ne nous ont pas fait faute. La photographie, entr’autres avantages, a celui de prévenir beaucoup d’erreurs, et l’on n’aura plus à se disputer sur le théâtre de ces grandes scènes, comme on le fait encore pour les batailles de Cannes, de Trasimène, et sans aller si loin, sur celles de Crécy et d’Azincourt.

Simple touriste et nullement tacticien, je ne sortirai pas de mon rôle, et si je suis allé sur ces lieux, c’est pour éviter ce reproche qui n’eût pas manqué de m’accueillir au retour : « Quoi ! vous étiez à Milan, vous aviez vu Magenta, et vous n’êtes pas allé à Solferino ! »