Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/47

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réfugie dans une masure obscure, où j’ai pour compagnie deux à trois dames dont je ne puis voir la figure. Leurs pères, frères, amants ou époux sont en quête de moyens de transport, et ils ne reviennent pas. Nos pauvres abandonnées s’impatientent et s’effraient, car l’orage redouble. Enfin, l’une d’elles ne peut plus y tenir ; elle veut partir à toute force. Je lui offre mon bras. L’obscurité est profonde ; nous voilà errant dans la boue. Nous cherchons un meilleur chemin, mais nous tombons de mal en pis : celui que nous prenons conduit dans un pré où nous nous perdons avec de l’eau jusqu’à mi-jambe et la peur d’être précipités dans quelque fondrière.

Enfin le terrain se raffermit, nous n’avons plus de boue que jusqu’à la cheville. Ma compagne y laisse un de ses souliers. Je le cherche à tâtons, j’ai le bonheur de le retrouver. Il s’agit maintenant de le lui remettre ; nous y parvenons, non sans peine. Mais de quel côté aller ? La nuit est si noire qu’on ne voit pas à un pas devant soi. Le hasard nous favorise, nous trouvons une voie pavée ; elle nous conduit à la ville, où une lumière me montre enfin la figure de ma compagne qui est jeune et jolie.

Bientôt nous rencontrons un monsieur fort affairé, portant une ombrelle, le seul moyen de salut qu’il a pu trouver : c’est le mari de la dame qui le reçoit fort mal et ne veut ni de son bras ni de son ombrelle. En effet, trempée comme une soupe, il ne pouvait pas la sécher.

Probablement accoutumé à ces orages, le mari conserve un calme stoïque et nous suit, fort mal à l’abri sous son ombrelle. Nous gagnons ainsi la maison qu’ha-