Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/74

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et dont le souvenir est toujours resté, dans mon esprit, mêlé à ce vieux conte si souvent mis en scène.

C’était en 1813. Alors on ne se déplaçait pas comme aujourd’hui : un voyage à Paris était une grosse affaire, et l’ami dont je parle, domicilié en province, n’y était jamais venu. J’y habitais à cette époque, et je me fis un plaisir de lui en montrer les monuments et surtout nos musées qui n’avaient pas encore été dépouillés d’une partie de leurs chefs-d’œuvre. Nous étions au Louvre, et après avoir parcouru la galerie de peinture, je voulus le conduire dans celle de sculpture. À mon grand étonnement, il ne parut pas s’en soucier. J’insistai ; il s’y refusa positivement. S’il eût été janséniste ou puritain, j’aurais cru que c’était par scrupule religieux et que le nu effarouchait sa pudeur, mais il s’était longuement arrêté devant des tableaux tout aussi décolletés et sans en paraître scandalisé le moins du monde. Il avait donc un autre motif. Lequel ? Cela m’intriguait, néanmoins je ne le lui demandai pas.

En sortant, nous gagnâmes les Tuileries et traversâmes le jardin. Là je remarquai encore que lorsque nous approchions d’une statue il tournait le dos, et même, s’il les apercevait de loin, il faisait un détour. Je commençai à croire qu’il y avait à ceci une cause plus sérieuse que je ne pensais et qui se rattachait à quelque triste souvenir. Il devina ma pensée : — « Je vois, me dit-il, que mon aversion pour les statues vous étonne et que vous êtes disposé à me considérer comme un maniaque ; c’est qu’en effet je le suis, mais sur un seul point que vous avez déjà pu entrevoir, lequel se rattache à un fait que je vais vous raconter, fait bien