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commandeur, et je tombais dans des convulsions telles, qu’on me crut atteint d’épilepsie. Ces attaques se passèrent, mais pendant des années encore je fus sujet à des hallucinations qui firent craindre pour ma raison. J’en guéris, mais non si bien que l’aspect des figures qui me rappellent celle qui m’a fait tant de mal ne m’impressionne encore de la manière la plus désagréable. J’ai fait tout au monde pour surmonter cette faiblesse : je me suis astreint à passer des journées entières à côté de ces statues qui m’inspirent une telle horreur ; mieux encore, j’ai équipé un mannequin dans le costume du commandeur et je l’ai mis dans un cabinet qui touche à ma chambre à coucher, d’où je pouvais sans cesse l’apercevoir. Rien n’y a fait ; il m’a fallu le faire enlever. Mes hallucinations avaient recommencé : chaque nuit, je croyais l’entendre ouvrir la porte du cabinet, et je le voyais, remuant la tête, au chevet de mon lit. Si j’avais persisté, je serais devenu fou. »

Ainsi finit le récit de mon compagnon. Il ne m’étonna pas, car, dans ma petite enfance, j’avais éprouvé quelque chose d’équivalent. On m’avait aussi conduit à un drame sépulcral que j’avais pris au sérieux et dont les scènes cadavériques ont également, pendant des années, troublé mon cerveau. Avis aux parents.

Laissons là ces terreurs enfantines et revenons à la liberté de l’Italie, qui, ainsi que je l’ai dit, était la grande préoccupation du moment. Pauvre peuple, il a bien combattu pour elle ! Il y a quelque mille ans que la Péninsule est un champ de bataille. Nos pères Francs et Gaulois furent les premiers barbares qui se disputèrent ses dépouilles. Depuis, combien n’en a-t-elle pas vu