Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/85

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Pendant le combat, il n’a pas quitté sa maison, du grenier de laquelle ses regards embrassaient la campagne. Il me raconte ce que, de là, il a vu, autant qu’on peut voir une bataille quand la poudre a parlé et lorsqu’à la fumée se joint la poussière. Ici la tactique et le génie lui-même jouent leur rôle à tâtons, ou au jugé si vous aimez mieux. S’il y a du bien joué, il y a aussi la part du hasard ou de la grande loterie de l’imprévu, et tel a passé et passe encore pour grand tacticien, qui n’était qu’un joueur heureux. — Ah ! si on lisait dans le cœur des héros, on y verrait d’étranges choses !

Nous voici sur le champ de bataille, au milieu de tombes. En temps de paix, il aurait fallu un siècle pour meubler un tel cimetière. Les monuments y sont tout simples ; ils se composent de mottes de terre superposées et arrondies par la pelle : les promeneurs, en passant par-dessus pour raccourcir leur chemin, font le reste. La quantité de mûriers et surtout de ceps de vigne qui ont survécu m’étonne toujours. Si le froid eût été vif, il en eût été autrement : le besoin d’alimenter le feu eût beaucoup accru le dégât. Cependant certains champs n’ont pas encore été remis en ordre : la bêche n’y a pas passé ; ils sont comme au lendemain de la bataille, et les chiens et les oiseaux de proie, héritiers du combat, s’y donnent encore rendez-vous.

« Ils s’y sont bien régalés les premiers jours, me disait mon gamin dans son jargon milanais, et ils savaient joliment les déterrer ; mais depuis qu’on y a dit une messe, ils n’y touchent plus, à moins que ce ne soit pas des chrétiens. — Mais qu’est-ce que c’est donc ? lui demanda le vétéran. — Des Mamaluchi (Turcs), lui ré-