Page:Boucherville - Une de perdue, deux de trouvées, Tome 1, 1874.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
224
UNE DE PERDUE

ismes de fureur et de vengeance, allait commettre un meurtre inutile, avait eu recours à ce moyen. Pierre savait que Trim n’aurait pas obéi à un ordre, il ne l’aurait pas entendu, mais qu’il ne pourrait résister à un cri de douleur de la part de son maître. Aussi Trim, en entendant ce cri de détresse s’arrêta instantanément, frappé comme par un choc électrique ; il jeta à terre le corps presqu’inanimé de François, s’élança vers l’escalier et, en un instant fut aux pieds de Pierre.

Par un de ces incompréhensibles phénomènes de la constitution humaine, un instant avait suffit pour transformer le nègre en un tout autre homme. Une sueur abondante coulait de son visage, mais ses traits tout à l’heure bouleversés, n’exprimaient plus maintenant que le plus tendre intérêt pour son maître ; ses yeux, tout à l’heure injectés de sang, n’exprimaient plus maintenant qu’une inquiète sollicitude pour la santé du capitaine Pierre. Une si soudaine et si complète transformation étonna le capitaine, quoiqu’une fois déjà il en avait eu un semblable exemple de la part de son esclave. Cependant comme pour la seconde fois il venait de faire l’expérience de la puissance sans borne qu’il pouvait exercer sur son nègre, au plus violent paroxisme de son vertige et de sa fureur, il crut prudent de lui cacher la raison qui l’avait porté à en agir ainsi, de crainte qu’une autre fois il ne put réussir par le même moyen ; aussi lui dit-il :

— Trim, je viens d’avoir une faiblesse, mais je me sens assez fort pour partir, je veux être transporté hors d’ici.

— Vous senté-ti vote tête mieux ? lui demanda Trim d’une voix encore tremblante.