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UNE DE PERDUE

d’écume ; il n’avait pas encore fléchi une seule fois, malgré la course désordonnée qu’il venait de faire ! Je lui donnai encore du fouet ; il bondit, et la tête baissée, il courut, dévorant les distances. Nous avions encore à franchir la même crevasse, que nous avions déjà si heureusement sautée… Mon cheval aurait-il la même vigueur ? La crevasse se serait-elle élargie ?…

« Déjà il me semble l’entrevoir. Elle est affreusement agrandie ! Poussés en sens contraire par des courants opposés, les deux bancs de glaces se sont éloignés !… Je saisis Éléonore dans mes bras… Il était temps… Le cheval, aveuglé par sa course effrenée, fit un bon prodigieux et alla plonger, la tête la première, au milieu de l’onde, qui se referma sur lui. En sautant sur la glace avec Éléonore dans mes bras, mes pieds s’étaient embarrassés dans la peau de buffle, et je tombai mais heureusement sans accident. Ce qui avait failli nous occasionner une chute dangereuse fut peut-être ce qui nous sauva. Après avoir déposé Éléonore dans un lieu sûr, et l’avoir enveloppée dans la robe de buffle, j’allai sur le bord de l’eau jeter un dernier coup d’œil sur mon cheval. Je ne vis rien. Je crus que les eaux l’avaient englouti avec la voiture. Je lui donnai un soupir. Mais bientôt j’entendis le son des clochettes et l’écho des pas d’un cheval qui fuyait vers le rivage, — c’était le mien. Le noble animal était parvenu à monter sur la glace ; son instinct le guidait vers le rivage, et la peur l’emportait sur l’aile des vents.

« La tête en feu et le désespoir au cœur, je retournai à mon Éléonore, mon ange, ma bien aimée, ma vie ! Je ne savais plus que faire ; je ne voyais plus d’espoir, il ne nous restait plus qu’à attendre le jour.