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gesse, qu’ils ont énormément à apprendre de leurs voisins et que c’est en s’assimilant les lumières des autres et en les ajoutant aux leurs qu’ils redeviendront supérieurs comme le furent leurs pères.

Pourtant, cette lèpre fatale n’est pas complètement inconnue parmi eux. C’est un mal économique. Constater son existence c’est signaler un danger. N’en cherchons pas la trace dans la classe agricole. Celle-là est saine parce qu’elle est à peu près satisfaite. Ce sont surtout les jeunes gens, ceux qui appartiennent à la classe plus instruite, plus intellectuelle, et aussi les classes ouvrières qui souffrent d’un malaise économique qui grandit tous les jours. C’est là que le mal devient visible.

Combattons cette maladie de toutes nos forces, efforçons-nous de l’extirper, mais plaignons les malheureux qui en sont atteints ; ce sont les tristes fruits d’un état de choses dont ils ne sont pas responsables.

Nous disons qu’ils ne sont pas responsables de leur état d’esprit si dangereux. Ce n’est pas que nous voulions nier cette vérité incontestable que les esprits d’élite finissent par s’affirmer, que l’homme énergique fera sa trouée en dépit de toutes les difficultés. Mais nous ne sommes pas tous des hommes de génie quoique nous aspirions tous au succès, et il est incontestable que le jeune Canadien-français qui commence la vie est, par la nature des choses, moins avantageusement situé que la jeunesse appartenant à la race plus nombreuse et plus riche qui l’entoure.

En conservant aux Canadiens-français leur langue, leurs institutions et leurs lois, ce qui en fait, sous certains rapports, un peuple à part sur ce continent, nos hommes publics et le peuple qui les a appuyés ont contracté envers notre jeunesse une obligation tacite mais claire et solennelle qui ne sera pas impunément ignorée. Ils se sont engagés à garantir cette jeunesse contre l’infériorité en suppléant à tout ce qui lui manquerait, en lui procurant une éducation supérieure et des avantages spéciaux qui la mettraient en mesure de surmonter les difficultés exceptionnelles qu’elle aurait à affronter. Cet engagement, à notre avis n’a pas été entièrement rempli, et le temps est venu où il est urgent pour nos gouvernants de le remplir. Ceux qui observent savent que les dangers que nous signalons ici ne sont pas imaginaires. Ils savent ce que vaut un vain titre dans une profession encombrée ; ils savent qu’il n’y a chez nous presque pas de carrière pour les jeunes talents dans les sciences, les arts, la littérature et l’industrie ; qu’une foule de jeunes gens qui devraient être des producteurs utiles, les forces vives de la nation, ne sont que des parasites qui végètent dans toutes les positions inférieures. Est-il surprenant que quelques-uns manquent de courage et soient enclins à un cynisme inquiétant ; est-il surprenant qu’ils se montrent jaloux de ceux qui arrivent lorsqu’ils ne peuvent en raisonnant admettre leur supériorité réelle et qu’ils se sentent