Page:Bouchor - Les Symboles, nouvelle série.djvu/19

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avant de conclure d’une façon trop prévue, appelle surtout les critiques. Je ne pense pas à ces poèmes de discussion : L’Âme humaine et En prière, mais aux deux suivants. L’amour passionné, exclusif, presque sensuel, de la nature « féminisée » comporte une grande part de rhétorique ; il en a été fait, dans notre siècle, un pitoyable abus. L’amour platonique en sa rigueur absolue, je veux dire affranchi, par hypothèse, de toute sensualité, est au moins une erreur assez noble, où l’on peut s’engager de bonne foi ; mais je trouve bizarre qu’une ardente recherche du vrai dégénère en une sorte de roman. J’aurai beau alléguer qu’il faut voir en tout cela de curieuses déviations du sentiment religieux, et qu’elles se produisent, d’une façon toute naturelle, à l’instant où faiblit la croyance en Dieu. Il est possible que, dans certains cas, cela ait lieu ainsi. Mais ce n’est pas après avoir atteint la maturité de son esprit qu’un homme pourrait s’abandonner sans réserve à des émotions aussi artificielles ou devenir la proie d’illusions aussi fortes. J’ai cru que l’expression de sentiments jadis éprouvés, d’une façon plus ou moins réelle, serait logique et vraisemblable à certaine place de mon livre. Je vois que je me suis trompé.

Je ne veux pas du tout, par une vanité à rebours, déprécier mon œuvre. Je crois qu’il y a, dans les poèmes dont je parle, une poésie vraie ; ils sont, en grande partie, l’expression très sincère d’un culte profond de la nature et de ces intimes rêveries où l’amour semble transfiguré. Moi-même, d’ailleurs, en terminant les deux poèmes, je dénonçais la part de fausseté qui s’y mêle ; et cela pouvait leur faire trouver grâce.