Page:Boudier - A Monseigneur le Garde des sceaux, 1726.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
3

de diſpoſer à ſon gré, pour ſe procurer, outre l’honneur qu’il en eſpere, un profit qui lui procure ſes beſoins, & même ceux des perſonnes qui lui ſont unies par les liens du ſang, de l’amitié, ou de la reconnoiſſance.

La ſeconde, qui eſt une ſuite de la première, c’eſt, que ſi un Auteur eſt conſtamment propriétaire, & par conſequent ſeul maître de ſon Ouvrage, il n’y a que lui, ou ceux qui le repreſentent, qui puiſſent valablement le faire paſſer à un autre, & lui donner deſſus le même droit que l’Auteur y avoit : Par conſequent le Roy n’y ayant aucun droit tant que l’Auteur eſt vivant, ou repréſenté par ſes Héritiers ou Donataires, il ne peut le tranſmettre à perſonne, à la faveur d’un Privilege, ſans le conſentement de celui à qui il ſe trouve appartenir.

Cette vérité, qui a pour fondement les principes que nous avons établis, ſe trouve encore appuyée ſur l’autorité des anciens Édits & Déclarations de nos Rois donnez au ſujet de l’imprimerie, dans leſquels on trouve l’origine des Privileges que les Libraires ſont obligez d’obtenir du Roy pour l’impreſſion des productions littéraires, & les ſages motifs de cet ancien uſage, qui bien loin de donner la moindre atteinte aux droits des Auteurs, par rapport à la propriété de leurs Ouvrages, ni à celle des Libraires à qui ils tranſmettent leurs droits, ne peuvent au contraire ſervir qu’à les établir, & à aſſurer l’état des uns & des autres.

Pendant prés d’un ſiécle, depuis l’invention de l’Imprimerie juſques vers l’an 1550, les Auteurs & les Libraires, en conſequence de la Liberté commune à tous les hommes, avoient toujours fait imprimer leurs Ouvrages ſans être aſſujettis à en obtenir la permiſſion du Roy ; mais comme le mauvais uſage de ce don précieux de la Nature commençoit à devenir dangereux à la Société & que chacun faiſoit imprimer ce que bon lui ſembloit, au préjudice de la Religion, des Loix de l’État, & de la tranquilité publique, Henry II. & après lui Charles IX. furent obligez pour mettre de juſtes bornes à cette licence, non pas de s’approprier les Ouvrages des Hommes de Lettres de leur ſiécle pour en diſpoſer à leur volonté, mais ſimplement de défendre comme ils firent par les Édits[1], dont nous venons de rapporter les motifs, d’imprimer quelque Ouvrage que ce fût, qu’il n’eût été préalablement examiné en leur Conſeil, & autoriſé d’un Privilege du Grand-Sceau, qui étoit accordé après l’examen de l’Ouvrage, quand il ne s’y étoit rien trouvé de contraire à la Religion, aux Loix de l’État, à l’honneur & à l’intérêt des Particuliers ; ce qui fut encore renouvellé à l’Aſſemblée des États tenue à Moulins en 1566…

Louis XIII, animé du même eſprit, & par les mêmes motifs, confirma ces Édits par une Ordonnance du mois de Janvier 1626. qui contient mot à mot les mêmes diſpoſitions que nous venons de rapporter ; & les mêmes prohibitions furent encore renouvellées par une Déclaration de ce même Prince du 27. Décembre 1627. & enfin par une Déclaration en forme d’Arrêt du feu Roy, de glorieuſe mémoire, du 29. Avril 1678. Ainſi le droit des Auteurs & des Libraires n’ayant ſouffert aucune atteinte, le Droit Commun du Royaume ſubſiſte en ſon entier à leur égard, & par conſequent le Roy n’ayant aucun droit ſur

  1. Édits de 1547 & 1563.