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Auteurs peuvent communiquer ce droit de propriété avec la même étendue et la même force qu’il avoit en leurs perſonnes, & conſequemment ſi les Ouvrages Litteraires ne ſont pas du nombre des choſes qui, comme toutes les autres, tombent dans le commerce des hommes, c’eſt-à-dire, s’ils ne ſont pas avantageux & même abſolument néceſſaires à ce qui ſeul rend licite parmi nous le commerce de quelque choſe que ce ſoit.

Si les hommes n’étoient comme les animaux qu’un vil aſſemblage de matiere organiſée, dont les beſoins ſe bornaſſent à l’entretien de leurs individus, & qu’aſſujettis ſimplement aux Loix de la Nature ſans en connoître l’Auteur, ils ne puſſent s’en écarter comme eux, alors la culture de la terre & les arts ſuffiſant à leurs beſoins, ils n’auroient affaire ni de Sçavans, ni de leurs Ouvrages ; mais comme leur exiſtence n’eſt pas bornée à la courte durée de leurs corps, que d’ailleurs ils ont la liberté & le pouvoir de ſ’écarter des regles que la nature & la raiſon leur preſcrivent ; que la plûpart d’entre eux n’abuſent que trop ſouvent de ce précieux avantage au détriment de la Societé, il leur faut néceſſairement une Religion pour regler leur intérieur, des Loix civiles & politiques pour réprimer leurs paſſions ; ainſi il doit y avoir parmi eux, non ſeulement des hommes qui les ſçachent et les faſſent obſerver, d’autres qui les enſeignent à ceux qui ſe deſtinent à en inſtruire les autres, mais encore qu’il y en ait d’autres qui les réduiſent en principes en faveur des uns & des autres, et qui y joignent les découvertes, que l’expérience & leurs profondes méditations leur ont fait faire.

Pour mettre ces grands hommes en état d’appliquer leurs talens au profit de la Societé à laquelle ils ſe trouvent attachez par l’inclination ou par la Nature, il est néceſſaire qu’ils puiſſent tirer de cette précieuſe induſtrie des avantages proportionnez à l’importance de leur travail, & à l’utilité que le Public en tire ; & pour cela il faut abſolument qu’ils puiſſent en tranſmettre la proprieté & la jouiſſance à qui il leur plaît : ce qui ne ſe peut faire que par la voye du Commerce, & qu’autant que ceux à qui ils voudront tranſmettre leurs Ouvrages, puiſſent en demeurer proprietaires tant qu’ils le voudront, ou les communiquer à d’autres, qui à leur tour puiſſent en tirer un avantage proportionné à la valeur qu’ils en auront donnée, & à la peine qu’ils auront priſe pour mettre le Public en état d’en profiter, parce que ſans cela l’Ouvrage d’un homme de Lettres lui devient inutile, en reſtant toûjours en ſa poſſeſſion ; ce qui arriveroit s’il ne trouvoit aucun avantage à s’en dépouiller, & le corps de l’État ſe trouveroit privé de l’utilité qu’il en auroit pû tirer.

L’application de ces principes ſe fait naturellement par un argument très-ſimple. Si les productions litteraires tiennent le premier rang entre toutes celles dont les hommes ſont capables par rapport aux avantages qu’ils en tirent, elles doivent ſe communiquer pour l’interêt commun : Si elles doivent ſe communiquer, il faut que les Auteurs les puiſſent faire paſſer à d’autres par le canal de la vente ou de l’échange ; donc les productions litteraires ſont du nombre des choſes qui tombent dans