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AVANT-PROPOS


Ce n’est pas sans raison que je présente comme des Essais les études sur la caste que je rassemble ici. Je sais tout le premier à quel degré elles sont incomplètes. Sur plus d’un point les cadres seuls sont dressés : le contenu fait défaut.

J’ai voulu, non pas imaginer à priori, mais rechercher dans les faits les tenants et les aboutissants du régime le plus contraire à celui que les idées égalitaires tendent à instituer en Occident. Pour cette recherche il semble au premier abord que l’Inde soit une terre privilégiée. La caste s’y épanouit en toute liberté. Nulle part ailleurs on ne voit subsister entre groupes élémentaires une opposition plus nette ; nulle part la spécialisation héréditaire n’est plus stricte, ni la hiérarchie mieux respectée.

Malheureusement, dès que l’on veut « situer » ces phénomènes, décrire leur évolution, définir leurs rapports avec la vie de l’ensemble, on se trouve arrêté. Les efforts conspirants de tant d’indianistes illustres n’ont pas encore réussi à projeter, sur la route suivie par la civilisation hindoue, des clartés suffisantes. Trop de jalons manquent encore. On l’a souvent répété : ce peuple n’a pas d’histoire, ou du moins il n’a pas eu d’historiens. Lacune révélatrice, ajoute-t-on. Ne nous renseigne-t-elle pas, par elle-même, non seulement sur l’orientation mentale, mais sur les destinées politiques de l’Inde ? En attendant l’on reste trop souvent dans l’impossibilité de dater, de localiser, de préciser. On travaille dans les nuages. Tout le monde en tombe aujourd’hui d’accord : les monuments littéraires de l’Inde — le plus souvent façonnés, au moins dans les périodes anciennes, par et pour les Brahmanes — nous