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ESSENCE ET RÉALITÉ DU RÉGIME DES CASTES

Si vous lui demandez quelque chose, il vous répond : « Passez ! » Il est fait pour recevoir, non pour donner[1]. Quand on traverse un hameau, disait Jacquemont[2], on croirait que la caste des Brahmanes est la plus nombreuse ; c’est qu’ils y restent oisifs quand les autres sont dehors qui travaillent. Un autre voyageur nous montre les bateliers de Bénarès trop honorés si un Brahmane veut se faire promener dans leur barque. Un autre dit, en parlant des Brahmanes, qu’ils marchent avec un air satisfait d’eux-mêmes et conscients de leur supériorité qui est inimitable. Il n’est pas étonnant, remarque l’abbé Dubois[3], qu’on rencontre souvent chez les Brahmanes un égoïsme superbe : ne sont-ils pas élevés dans l’idée que tout leur est dû et qu’ils ne doivent rien à personne ? Leur supériorité absolue est aussi incontestée[4] que l’absolue infériorité des Parias.

Entre ces deux degrés extrêmes, la multitude des castes s’étage, chacune très occupée de tenir son rang et de ne pas laisser usurper ses prérogatives[5]. Pour la détermination des rangs, diverses considérations entrent en ligne de compte : la pureté du sang, la fidélité au métier traditionnel, l’abstention des aliments interdits[6]. Pratiquement l’élévation ou la bassesse d’une caste se définit surtout

  1. Sonnerat, I, p. 98.
  2. Op. cit., I, p. 234.
  3. Op. cit., p. 144.
  4. On rencontre bien quelques exceptions. Cf. Dubois, op. cit., I, p. 13. Max Müller, Essais de mythologie comparée, p. 404. Mais, « outre qu’elles sont très rares, ces exceptions se fondent généralement sur quelque motif défini » (Senart, op. cit., p. 101).
  5. Les questions de préséances donnent parfois lieu à des batailles sanglantes (Dubois, op. cit., I, p. 18). On a remarqué, lors du dernier recensement, l’émoi qu’éprouvèrent certaines castes, à la pensée qu’elles risquaient de n’être pas classées à leur rang. Les Khattris tinrent un meeting de protestation à Bareilly, et ils envoyèrent un mémoire aux autorités chargées du recensement, afin de maintenir leur droit à être classés parmi les Kshatriyas (Census of India, 1901, Rapport général, par MM. Risley et Gait, I, p. 539).
  6. Steele, Law and Customs of Hindoo Castes, p. xi.