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LES RACINES DU RÉGIME DES CASTES

religieuse, qui fait dire des messes en l’honneur de son saint patron, – une société mondaine, qui donne des fêtes et des banquets, – une société de secours mutuels, qui vient en aide à ses membres malades, volés ou incendiés, – une société de protection juridique, qui poursuit ceux qui ont lésé ses adhérents, – une société morale enfin, avec ses censeurs chargés de faire respecter les devoirs de camaraderie ou les devoirs professionnels.

Le cercle d’action de la ghilde n’est donc pas aussi étroit que M. Senart paraît le croire. Elle n’est pas aussi envahissante que la caste, sans doute : ses prescriptions ne se ramifient pas aussi loin. Elles sont cependant assez touffues pour prouver qu’un groupement d’ordre économique est capable de commander aux mœurs mêmes, de lier les hommes, non pas seulement en vue d’une certaine fin déterminée, mais « pour la vie », et qu’en ce sens l’industrie peut engendrer un régime analogue au régime des castes.

Mais est-ce bien l’industrie qui est responsable de cette floraison de règles, qui rapproche la ghilde de la caste ? Ou la racine en est-elle ailleurs ? Si les ghildes soumettent jusqu’à la vie privée de leurs membres à une discipline commune, si elles les gardent embrassés dans un culte commun et parfois les réunissent à une même table, cela tient moins aux nécessités de l’industrie qu’aux traditions qui dominent toute organisation sociale au Moyen Âge. On n’avait pas alors l’idée qu’on pût constituer une association sans juridiction propre, sans assistance mutuelle, sans fêtes communes, sans « patron » unique[1]. Cette idée, ce n’est pas du progrès de l’industrie qu’elle a jailli. Elle s’explique plutôt par l’influence persistante des habitudes religieuses, et peut-être par le souvenir lointain des premières pratiques familiales. N’a-t-on pas pu soutenir que les ghildes du moyen-âge s’étaient mo-

  1. Ashley, op, cit., I, p. 93.