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LES RACINES DU RÉGIME DES CASTES

explicable. L’intérêt de l’industrie demande visiblement non seulement que le travail soit divisé de corporation à corporation, mais que les procédés de travail soient conservés de génération en génération. Quand le métier est relativement simple et réclame certaines aptitudes générales plutôt qu’une instruction particulière, cette nécessité se fait moins vivement sentir. C’est ainsi, remarque M. Nesfield[1], que dans les métiers commerçants les règles de la spécialisation héréditaire sont ordinairement plus lâches. Mais quand il s’agit de l’industrie – et surtout d’une industrie comme l’industrie hindoue : industrie toute manuelle, et qui fait d’autant plus de place à l’habileté qu’elle en fait moins à la mécanique – rien n’est plus précieux qu’une éducation technique. Or le père seul, en Inde, peut la donner. Dans l’absence de manuels, qui resteraient d’ailleurs singulièrement insuffisants, ses conseils seuls peuvent apprendre les secrets du métier, la façon, le tour de main. Comte[2] l’a justement observé : dans toute civilisation où la tradition orale est le seul mode de conservation des idées et des pratiques, il est inévitable et indispensable que le père transmette son métier à son fils. En fait, partout où subsiste le règne de l’industrie véritablement « manufacturière » et non « machinofacturière », partout, suivant M. Nesfield[3], au Pérou comme en Égypte, en Abyssinie comme en Grèce, on retrouverait les traces d’une organisation analogue.

Toutefois, est-il vrai que les seules nécessités de la division du travail et de la transmission des procédés expliquent la forme que cette organisation a prise en Inde ? Montrer qu’il est nécessaire, pour la continuité de la vie économique, que l’artisan fasse lui-même l’éducation de son successeur, n’est pas montrer qu’il est nécessaire que

  1. Op. cit., p. 34.
  2. Cours de philosophie positive, VI, ch. viii, cité par Nesfield, op. cit., p. 95.
  3. Op. cit., p. 96 sqq.