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LIVRE III


CONCURRENCE

POSITION DU PROBLÈME

« Il y a une chose qui me surprend, c’est le prix que nous attachons à des existences qui ne nous intéressent en rien. Nous avons l’air de croire que la vie est en elle-même quelque chose de précieux. Pourtant la nature nous enseigne assez que rien n’est plus vil ni plus méprisable. Autrefois on était moins barbouillé de sentimentalisme. Chacun tenait sa propre vie pour infiniment précieuse, mais ne professait aucun respect pour la vie d’autrui. On était alors plus près de la nature : nous sommes faits pour nous manger les uns les autres. Mais notre race faible, énervée, hypocrite, se plaît dans un cannibalisme sournois. Tout en nous entredévorant, nous proclamons que la vie est sacrée, et nous n’osons plus avouer que la vie, c’est le meurtre. »

Ainsi s’exprime un personnage de l’Histoire comique d’Anatole France[1]. Et peu de gens sans doute oseraient professer publiquement, ou même s’avouer intimement un pessimisme aussi radical. Beaucoup cependant de ceux qui pensent aujourd’hui « connaître la vie », par expérience ou par science, semblent accorder qu’une loi de cruauté la gouverne.

  1. Revue de Paris, 15 décembre 1902, p. 700.