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choisir des mâles par ordre de beauté décroissante[1]. Sans un effort pour satisfaire ces goûts et décider ces préférences, les manifestations que nous avons rappelées resteraient incompréhensibles. « Tout bien pesé on ne peut, conclut Romanes[2], y trouver d’autres motifs. » On est bien forcé d’inférer, sans pouvoir en donner la preuve directe, que la femelle exerce un choix.

Imaginez, nous dit Darwin[3], qu’un habitant de quelque autre planète aperçoive une troupe de jeunes campagnards, courtisant à une foire une jolie fille et se disputant autour d’elle ; ne conclurait-il pas, rien qu’en voyant l’ardeur des concurrents à lui plaire et à se faire valoir à ses yeux, qu’elle a la faculté de choisir ? La même induction analogique est permise à l’observateur des animaux. Il constate que dans nombre de cas les formes et les mouvements du mâle se modifient de manière à frapper l’imagination de la femelle ; il conclut donc légitimement « à une correspondance entre les facultés de représentation de celle-ci et les facultés d’expression de celui-là[4] », à un effet produit sur les consciences, finalement à une prédilection. C’est ainsi que la théorie de la sélection sexuelle nous conduit à admettre, pour nous expliquer l’embellissement des races, l’action de quelque chose qui se rapproche réellement, et non plus par une simple métaphore, de ce que nous appelons l’amour.

Comment cette théorie nous incline vers une conception moins brutale et moins mécaniste du progrès, on s’en rend aisément compte.

Nous avons remarqué que la sélection sexuelle est moins rigoureuse, et, comme dit Weismann[5], moins « catégorique »

  1. Morgan, citant Brewster, Habit, p. 221.
  2. Op. cit., p. 358.
  3. Descend., II, p. 131.
  4. Espinas, op. cit., p. 133, 161.
  5. Vorträge, I, p. 306.