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en perfectionnant leurs instruments de chasse, mais en redevenant végétariens[1].

On comprend, étant donnée cette variété des problèmes proposés et des solutions possibles, combien diverses peuvent être les formes qui garantissent la survivance, et l’on ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que la survivance puisse s’accompagner, en fait, de régressions manifestes[2].

La dégénérescence par le parasitisme en est l’exemple le plus fameux. On sait qu’il arrive aux êtres qui s’attachent à d’autres êtres, pour vivre à leurs dépens, de perdre non seulement les pattes mais les yeux et les oreilles ; ils se réduisent à l’état de sacs digérants. Mais ce n’est pas seulement le parasitisme proprement dit qui entraîne une pareille décadence : suivant M. Ray Lankaster[3], le sédentarisme ou le végétarisme produiraient des effets analogues. Le Nauplius Barnacle s’immobilise par la tête : ce ne sont pas seulement ses organes locomoteurs, mais ses organes du toucher qui s’atrophient. De même, il semble bien que certaines ascidies sédentaires ne soient que des vertébrés dégénérés. Chez un ver plat devenu végétarien, les organes de la digestion et du mouvement prennent des formes plus rudimentaires. La sélection naturelle est donc capable dans certaines circonstances de faire perdre aux êtres des supériorités qu’ils avaient acquises, de perpétuer des êtres inférieurs. Ce n’est pas le tout de survivre : la « manière » a son importance. De tels triomphateurs de la lutte pour la vie font piètre figure à côté de leurs voisins ou de leurs ancêtres. Ils ont survécu sans doute, mais par de petits moyens, et en menant une existence médiocre. On ne saurait soutenir qu’ils sont les plus forts ou les meilleurs, ni que leur victoire constitue un progrès pour la suite des espèces.

  1. Cf. Conn, Method, p. 35. Baldwin, Development, p. 182.
  2. Cf. Demoor, Massart et Vandervelde, op. cit.
  3. Dégénération, p. 35, 38, 50.