Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/284

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Et sans doute le « solidarisme » contemporain ne présente pas toujours les choses ainsi. Il prétend se poser à son tour en morale « scientifique », appuyée à des inductions naturalistes. Il insiste sur les exemples d’assistance mutuelle et de consensus intime que la nature multiplie, tant dans les sociétés animales proprement dites, que dans les sociétés cellulaires qui sont les organismes. Il conclut qu’en établissant de la sorte, que « le progrès n’a jamais été réalisé que par l’association des forces individuelles et leur harmonieuse coordination, les sciences naturelles constituent non seulement la plus haute philosophie, mais la seule capable de fournir aux gouvernements les lumières nécessaires pour sonder et guérir les plaies profondes du temps présent[1] ».

Et nous avons reconnu[2] qu’il n’est pas indifférent, en effet, d’attirer l’attention sur la face altruiste de la nature. Le darwinisme commun n’en mettait en relief que les duretés. Il semblait légitimer l’égoïsme, en nous le démontrant quasi nécessaire au progrès de l’être.

Il est de bonne guerre d’utiliser, contre cette nouvelle « dogmatique », les faits de toutes sortes que nous avons recueillis lorsque nous avons circonscrit le champ de l’hypothèse darwinienne. En nous rappelant que son effort n’est pas tout à fait sans précédent et que la nature même, par certains côtés, la met sur la voie d’un progrès moins cruel, ils sont propres à encourager l’humanité : elle se sent ainsi soutenue et comme autorisée dans ses essais. Elle peut dès lors cesser de concevoir un antagonisme irréductible entre le « processus cosmique » et le « processus éthique » ; celui-ci lui apparaît plutôt comme une tentative pour dégager, et pour

  1. Perrier, cité par Bourgeois, Solid., p. 60.
  2. V. p. 225-229.