Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/297

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Certes, il semble difficile de refuser à la connaissance scientifique des lois de la nature le droit de prononcer sur les possibilités. Lui déniât-on en principe la faculté de poser les fins, du moins, en découvrant la liaison des causes et des effets, nous permet-elle de comparer les moyens offerts à notre activité, et influe-t-elle ainsi sur l’orientation de cette activité même. Parce qu’elle nous fait prévoir les conséquences que tel mouvement doit fatalement déclancher, elle nous permet de les éviter en nous abstenant d’agir ou en changeant les modes de notre action ; elle nous épargne ce qu’on appelle des « écoles ». Si vous voulez construire une maison solide, respectez, nous dira-t-elle, les lois de la résistance des matériaux. De même, si vous voulez que telle espèce progresse, respectez les lois du progrès des espèces. En ce sens, même si la science ne nous livrait pas le premier fil conducteur, du moins tendrait-elle, autour de nos tâtonnements, des chaînes préservatrices et comme des garde-fous. Elle nous permettrait de faire des économies d’utopies.

À merveille : mais encore faut-il que les lois, qui donnent leur autorité à ces recommandations, soient en effet des lois universelles, et vaillent pour les étages supérieurs aussi bien que pour les étages inférieurs de l’être. Que si, aux derniers plans de l’évolution, des nouvelles conditions d’existence apparaissent, si des moyens d’action originaux entrent en jeu, si en un mot des antécédents inédits sont posés, alors il serait illogique, pour en prédire les conséquences, d’arguer de ce qui s’est passé aux plans antérieurs. L’impossible d’en bas est peut-être le possible d’en haut. Et nul n’a le droit, au nom de l’expérience ancienne, d’arrêter la nouvelle forme de l’être qui se lève. Or telle est bien, nous l’avons vu, l’attitude de la sociologie naturaliste à l’égard des sociétés démocratiques. Elle semble ignorer systématiquement la φύσις ἴδια, les faits nouveaux qui caractérisent les