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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/127

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LA DIVISION DU TRAVAIL

Est-il vrai que cette théorie soit définitive ? à la fois aussi complète et aussi précise qu’on peut le souhaiter ?

On sait le reproche général adressé par « le siècle de l’histoire » à l’économie classique. Elle universalisait le présent. Les catégories économiques qu’elle constituait et qu’elle extrayait consciemment ou non de la réalité contemporaine, elle semblait les tenir pour valables en tous temps et en tous lieux ; elle ne les reconnaissait pas, suivant le mot de Lassalle, comme des « catégories historiques ». La théorie d’Adam Smith ne porte-t-elle pas la marque de cet état d’esprit ?

En rattachant la division du travail à l’échange comme à son principe unique et universel, n’élargit-il pas abusivement le champ d’une hypothèse qui ne se vérifie pleinement, peut-être, que dans un état déterminé de civilisation ? Pour que les individus possèdent, comme ceux qu’il nous présente, l’habitude, la faculté, l’idée de marchander et de dire « Do ut des », n’y faut-il pas la réunion de certaines conditions qui sont loin d’être partout réunies ? Toujours est-il que le penchant à l’échange qu’il prête aux hommes se dérobe souvent, en fait, au regard des voyageurs et des historiens. Ceux-là nous citent nombre de tribus qui ne pratiquent pas l’échange et le comprennent difficilement : volontiers elles donnent ou plus volontiers elles volent ; l’amour ou la haine entrent aisément dans leur esprit ; mais il se prête mal à ce débat d’intérêts qui est un marché. Les historiens nous font remarquer de leur côté que, même au sein de civilisations très compliquées, comme à Rome, l’acte de l’échange proprement dit, de la vente et de l’achat, est un acte proportionnel-