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QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

sans des petites sectes connaissent mieux leurs dogmes et les conservent plus pieusement que ne font les fidèles des grandes communautés. Tous les historiens du christianisme ont signalé les transformations qu’il dut subir lorsqu’il unit dans son église, non plus un nombre assez restreint de disciples, mais des nations entières.

De même, considérez non plus les transformations mais les origines du christianisme : vous reconnaîtrez qu’il était préparé et comme appelé par l’état social de l’empire romain. Eusèbe, dans sa Théophanie, n’a-t-il pas noté, entre l’empire et le christianisme, une sorte d’harmonie préétablie ? La conquête romaine avait écrasé et nivelé les barrières qui séparaient les groupes sociaux ; en unissant leurs membres sous les mêmes lois, en les rendent égaux devant un même empereur, elle les préparait à accepter l’idée d’un Dieu unique, imposant les mêmes règles à tous les hommes. Le moment était propice pour la révélation, remarque Eusèbe : il constatait, par là même, d’étroites connexions entre les formes sociales de l’empire et les dogmes mêmes de la religion catholique.

Opposons à celle ci la religion ou plutôt les religions hindoues, avec la multiplicité et l’inconsistance de leurs croyances : n’y reconnaîtrons-nous pas les œuvres d’une société inorganisée, anarchique, incessamment désagrégé ? L’état flottant et moléculaire de cette société, dit Sir Lyall, a empêché la consolidation religieuse. Organisez les formes sociales, vous organiserez du même coup la religion. C’est ainsi que le brahmosomajisme, sorte de déisme importé d’Europe, n’a pu s’acclimater qu’au Bengale : là seulement les classes éclairées, jouissant d’un ordre social « confortable », garanti par le