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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/97

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L’HISTOIRE ET LA SCIENCE SOCIALE

un sens, soit dans l’autre. Les incidents reprennent alors de la gravité. Il appartient à l’historien de dresser ces bilans, qui laissent aux caprices du sort une marge plus ou moins grande. Il n’a pas à nier la puissance du hasard ; mais à lui faire sa part. Et cette part ne saurait être mesurée a priori. C’est une question d’espèce.

On comprend dès lors l’attitude que va prendre notre philosophe dans le problème des grands hommes, et comment, sans nier en aucune façon leur influence, il exhortera cependant les historiens à projeter la lumière sur les diverses circonstances qui la secondent, et dont le concours la rend en quelque sorte moins miraculeuse.

D’une manière générale, son effort pour substituer à l’admiration des causes la considération des raisons nous permet de prévoir quelle réponse il eût réservée à ceux qui pensent qu’on ne saurait, sans montrer à l’œuvre les individualités qui les produisent, expliquer clairement les événements historiques. Cette confusion entre la notion d’agent efficient et celle de raison explicative est sans doute une de celles qui ont accumulé le plus de nuées sur la route de la science sociale. Cournot faisait justement observer qu’à côté des causes dites actives — le geste de mon bras qui jette un dé, — des causes passives interviennent — l’irrégularité de structure du dé — qui parfois donnent seules la clef de telles rencontres répétées. Ainsi, derrière les démarches des personnages appelés à figurer sur la scène de l’histoire, il est permis, — sans constituer pour autant un monde d’entités stériles, — de rechercher la pression des situations, des institutions, des milieux[1].

  1. Ibid., I, II.