Page:Bouilhet - Dernières chansons.djvu/149

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Gardiens du seuil, abri des corbeaux croassants,
En dérobaient l’approche au regard des passants.
Cinq ans, l’enfant vécut près du faune ; les chèvres
D’elles-mêmes portaient leur tétine à ses lèvres ;
La vigne, en verts festons sur le bord des chemins,
Penchait sa grappe lourde au niveau de ses mains,
Et les abeilles d’or, formant de longues chaînes,
Le guidaient, à grand bruit, jusqu’au creux des vieux chênes.
Puis, il connut les dons de l’innocente paix,
La danse des sylvains, sous les halliers épais,
Les tambours grelottants, la flûte aux roseaux lisses,
Tous les jeux, et parfois ― l’enfance a ses malices ―
Quand midi tout en flamme invitait au sommeil,
Pour un nid de colombe, ou pour un fruit vermeil,
De leurs antres secrets sachant les avenues,
Le traître, aux chèvre-pieds, livrait les nymphes nues ;
Le vieux faune en riait dans sa barbe ; et parfois
On entendait un bruit sinistre dans les bois ―
Bruit lointain, bruit profond, qui venait de la terre ;
Et l’enfant s’arrêtait dans son jeu solitaire ;
Et le faune disait, en frissonnant aussi :
« O mon fils adoré, si tu sortais d’ici !…
« Si tu quittais nos bois !… reste sous nos bois sombres,
« Où les pins sourcilleux te couvrent de leurs ombres ! »