Page:Bouilhet - Dernières chansons.djvu/16

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mettait de vivre plus tard en mohican, un de mes intimes voulait se faire renégat pour aller servir Abd-el-Kader. Mais on n’était pas seulement troubadour, insurrectionnel et oriental, on était avant tout artiste ; les pensums finis, la littérature commençait ; et on se crevait les yeux à lire au dortoir des romans, on portait un poignard dans sa poche comme Antony, on faisait plus : par dégoût de l’existence, Bar*** se cassa la tête d’un coup de pistolet, And*** se pendit avec sa cravate. Nous méritions peu d’éloges, certainement ! mais quelle haine de toute platitude ! quels élans vers la grandeur ! quel respect des maîtres ! comme on admirait Victor Hugo !

Dans ce petit groupe d’exaltés, Bouilhet était le poëte, poëte élégiaque, chantre de ruines et de clairs de lune. Bientôt sa corde se tendit et toute langueur disparut, — effet de l’âge, puis d’une virulence républicaine tellement naïve qu’il manqua, vers les vingt ans, s’affilier à une société secrète.

Son baccalauréat passé, on lui dit de choisir une profession ; il se décida pour la médecine, et, abandonnant à sa mère son mince revenu, se mit à donner des leçons.

Alors commença une existence triplement occupée par ses besognes de poëte, de répétiteur et de carabin. Elle fut pénible tout à fait, lorsque, deux ans plus tard, nommé interne à l’Hôtel-Dieu de Rouen, il entra