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ROUSSEAU (J. B.), poëte lyrique, né à Paris en 1671, était fils d'un cordonnier, et eut, dit-on, le tort de rougir de cette humble origine. Son père lui fit donner une excellente éducation littéraire, et le jeune homme promit de bonne heure un grand poëte ; Boileau lui-même ne dédaigna pas de lui donner des conseils dans sa jeunesse. Il se vit dès l'âge de 20 ans recherché par les personnes du plus haut rang, accompagna le maréchal de Tallard à Londres en qualité de secrétaire, et vécut ensuite comme ami chez Rouillé du Coudray, directeur des finances. Il réussissait également dans l'épigramme et dans l'ode ; mais il s'attira le mépris public en jouant un double rôle, celui de poëte religieux dans ses odes, et de poète licencieux dans ses épigrammes. J. B. Rousseau s'essaya aussi sur la scène et donna quelques comédies (le Café, le Flatteur, le Capricieux), mais il eut peu de succès en ce genre. Accusant de ses revers dramatiques plusieurs gens de lettres qui se réunissaient au café Laurent (La Motte, Crébillon, Sauria, etc.), il lança contre eux quelques couplets satiriques ; ces couplets furent bientôt suivis d'une foule d'autres remplis d'infâmes calomnies ; on les lui imputa tous ; de son côté, il accusa Saurin d'en être l'auteur, et, pour le prouver, il suborna, dit-on, des témoins : mais il fut déclaré lui-même auteur des couplets, condamné comme diffamateur et banni à perpétuité par arrêt du parlement (1712) ; cependant, il ne cessa de protester de son innocence et il n'est pas encore prouvé qu'il fût coupable. Il se retira en Suisse, où il reçut un bon accueil du comte du Luc, ambassadeur de France ; il accompagna plus tard ce seigneur à Vienne, Où il obtint la protection du prince Eugène, et se fixa enfin à Bruxelles. Il eut dans cette dernière ville avec Voltaire une entrevue, d'où les deux poëtes sortirent ennemis jurés. On offrit à J. B. Rousseau en 1716 des lettres de rappel ; mais il n'en voulut pas profiter, parce qu'on lui devait, disait-il, non pas une grâce, mais une réhabilitation. Cependant il fit en 1738 un voyage secret à Paris dans le but d'obtenir ces lettres de rappel qu'il avait précédemment refusées ; n'ayant pu les obtenir, il retourna à Bruxelles, où il mourut en 1741, accablé de regrets et d'infirmités. J. B. Rousseau n'eut point d'égal dans son siècle pour l'ode ; il créa la cantate, espèce nouvelle du genre lyrique, qu'il porta tout d'un coup à sa perfection ; on admire surtout dans ses œuvres lyriques l'union du sublime des idées avec l'harmonie du style. Il a composé de nombreuses épigrammes, qui sont pleines d'esprit, mais où règne quelquefois un cynisme révoltant : des épîtres et des allégories, où l'on trouve des étincelles de son talent, mais qui sont bien inférieures à ses autres poésies, et il a laissé une Correspondance, publiée à Genève en 1749. Amar a donné en 1820 une édition complète de ses Œuvres, avec un commentaire historique et littéraire, 5 vol. in-8, chez Lefebvre. Il existe un très-grand nombre d'éditions classiques de ses Œuvres choisies ; la plus belle est celle que Didot publia pour le Dauphin, 1790, in-4. M. Manuel a fait paraître en 1852 les Œuvres lyriques, avec des notes nouvelles.

ROUSSEAU (J. J.), célèbre écrivain, né en 1712 à Genève, était fils d'un horloger de cette ville. Son éducation fut très-négligée; elle se borna presque à la lecture des Vies de Plutarque et de quelques romans, notamment ceux de Richardson. Après avoir été clerc chez un greffier, puis apprenti chez un graveur, il était sans ressources quand il fut recueilli à Annecy par Mme de Warens, dame catholique qui commença sa conversion et le fit admettre à l'hospice des catéchumènes à Turin, où il abjura la religion protestante. Sorti de cette maison, il fut quelque temps réduit à se faire laquais, puis se mit a enseigner la musique à Lausanne, vint en 1732 à Paris où il ne fit que végéter, et alla chercher de nouveau un refuge près de Mme de Warens, qui habitait alors Chambéry ; il passa auprès d'elle, soit à Chambéry, soit aux Charmettes, quelques années tranquilles, partageant son temps entre l'étude et les soins dus à son amie. Placé en 1740 comme précepteur chez M. de Mably, grand-prévôt de Lyon, il n'y resta qu'un an. Il se rendit pour la 2e fois à Paris en 1741 : il y apportait une méthode de son invention pour noter la musique en chiffres, sur laquelle il fondait des espérances, mais elle eut peu de succès ; cependant il se fit quelques protecteurs, et l'ambassadeur de France à Venise, M. de Montaigu, l'emmena avec lui comme secrétaire. D'un orgueil intraitable, il ne tarda pas à se faire congédier, et revint à Paris (1748), où il obtint une place de commis chez M. Dupin, fermier général ; à la même époque, il se liait avec Diderot et Grimm, et s'attachait a cette Thérèse qu'il épousa depuis, et qui n'était qu'une servante d'auberge. En 1749, une question posée par l'Académie de Dijon : Le progrès des sciences et des arts a-t-il contribue à corrompre ou à épurer les mœurs ? lui révéla son génie ; il concourut, et, bien qu'il eût pris parti contre les arts, fruit de la civilisation, il mit au service du paradoxe une éloquence si entraînante que le prix lui fut décerné. Voulant dès lors vivre indépendant, il abandonna sa place de commis et se fit copiste de musique. Il consacrait aux travaux de son goût le temps que lui laissait ce métier, et il donna en très-peu de temps plusieurs ouvrages de genres très-divers : le Devin de village, opéra dont il avait fait la musique ainsi que les paroles, et qui eut une grande vogue (1752) ; une Lettre sur la musique française, où il donnait la palme à la musique italienne, et qui fit beaucoup de bruit ; une comédie (Narcisse), qui tomba ; un Discours sur une nouvelle question posée à l'Académie de Dijon, de l'Origine de l'inégalité parmi les hommes (1753), œuvre des plus remarquables, mais qui ne put obtenir le prix à cause d'attaques hardies contre le despotisme. Peu après la publication de ce discours, il alla revoir Genève : il y trouva bon accueil, et, voulant recouvrer le titre de citoyen de la république, il retourna au Calvinisme, qu'il avait abjuré. Revenu à Paris, J. J. Rousseau se vit recherché par les grands seigneurs et les femmes à la mode : Mme d'Épinay fit construire pour lui dans la vallée de Montmorency le célèbre Ermitage (1756) (il composa dans cette paisible retraite la Nouvelle Héloïse (1759), le Contrat social, code d'une politique hardie et toute nouvelle, où il proclame la souveraineté du peuple, l’Émile, roman philosophique sur l'éducation (1762) : ces 3 ouvrages obtinrent la plus grande vogue ; mais le dernier, où il attaquait toute révélation et prêchait le pur déisme, attira sur lui les anathèmes du clergé et les rigueurs du pouvoir. Décrété de prise de corps par le parlement dé Paris, condamné également à Genève, où son livre fut brûlé par la main du bourreau, il se réfugia, à Motiers-Travers, dans la principauté de Neufchâtel, et y vécut quelque temps de la manière la plus bizarre, travaillant à faire du lacet et affublé du costume d'Arménien. C'est là qu'il rédigea, en 1764, pour la défense de l’Émile, sa Réponse au mandement de l'archevêque de Paris (Mgr de Beaumont), et les Lettres écrites de la Montagne (contre le Conseil de Genève). Forcé de quitter la Suisse, il accepte l'hospitalité que Hume lui offrait en Angleterre, et va s'établir à Wootton, dans le comte de Derby (1766); mais au bout de peu de mois, égaré par d'injustes défiances, il se brouille avec Hume, qu'il accuse de conspirer avec ses ennemis, et rentre en France, où sa présence est tolérée. Après avoir séjourné au château de Trye, près de Gisors, où le prince de Conti lui avait donné un asile, puis à Lyon, à Grenoble et dans plusieurs autres villes, il revint en 1770 à Paris, où il fut l'objet de l'attention publique. Mais sa santé dépérissait à vue d'œil : il était atteint d'une espèce de monomanie mélancolique qui lui faisait voir partout des ennemis acharnés à sa perte. Il accepta en 1778 une retraite que lui offrait René de