Page:Boukharine - Lénine marxiste.djvu/19

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4. — Enfin, il est encore une quatrième série de questions entièrement nouvelles, liées à l’époque, ou au début de l’époque, de la domination de la classe ouvrière. Comment Marx posait-il la question ? Je rappellerai sa formule, déjà citée : « L’âme de ma doctrine n’est pas la théorie de lutte de classe, mais la démonstration du fait que l’évolution sociale mène inexorablement à la dictature du prolétariat ». C’était là la limite de la pensée de Marx. Mais lorsque cette dictature est devenue un fait, nous franchissons cette limite. La doctrine de Marx s’arrête à la dictature inévitable du prolétariat[1]. Il n’en pouvait être autrement à cette époque ; la dictature du prolétariat n’étant pas réalisée, les phénomènes qui l’accompagnent n’existaient pas et, partant, ne pouvaient servir de matière à des expériences, à des observations et, ensuite, à des généralisations théoriques dont on eût tiré des enseignements pratiques. Ce groupe immense de phénomènes est tout à fait nouveau, car nous avons déjà dépassé la limite atteinte par Marx. Plus ces phénomènes sont nouveaux dans la réalité, plus ils le sont dans la théorie et par conséquent, plus la conception qui les embrasse doit être originale. Voilà la quatrième série de phénomènes sociaux, économiques, politiques, qui doivent faire l’objet de nos études et d’où nous devons tirer des normes de conduite pour la classe ouvrière.

J’ai examiné ici quatre périodes dont l’ensemble représente une époque colossale dans révolution, non seulement du capitalisme européen, mais de toute la société humaine. Cette époque complexe abonde en problèmes théoriques et pratiques, et naturellement le dialecticien ou l’homme d’action qui unit l’étude des questions théoriques à la pratique sort des limites du marxisme ancien.

Je dois m’arrêter ici sur un point, afin d’éviter toute confusion. Qu’appelons-nous marxisme ? On peut appeler marxisme deux choses : ou bien un ensemble de méthodes permettant d’étudier les phénomènes sociaux, ou bien une certaine somme d’idées, par exemple la théorie du matérialisme historique, la théorie de l’évolution des rapports capitalistes, etc., ainsi qu’une série d’affirmations concrètes. Autrement dit, nous pouvons entendre par marxisme non seulement une méthode ou un ensemble de méthodes, mais aussi la somme des idées obtenues par l’application de ces méthodes. Si l’on adopte la seconde définition, il est clair que le marxisme de Lénine est un champ beaucoup plus vaste que le marxisme de Marx. En effet, à la somme d’idées qui existaient chez Marx, s’est ajoutée une quantité immense d’idées nouvelles, liées à l’analyse de phénomènes entièrement

  1. La Commune de Paris n’était qu’un canevas, qui permit à Marx plusieurs prévisions géniales. Mais Marx ne pouvait évidemment pas analyser la question dans tous ses détails.