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reflète théoriquement dans une multitude de problèmes qu’on ne se posait pas à l’époque de la première « formule » de la doctrine de Marx, ou que l’on posait à l’époque de la IIe Internationale du point de vue de l’incorporation du mouvement ouvrier à l’État bourgeois. Comme les partis social-démocrates opportunistes se donnaient pour but non pas de renverser le régime capitaliste, mais de s’y adapter et de le transformer peu à peu, par une activité pacifique, ces embryons de théories « constructives »[1] trouvaient parmi nous autres, marxistes révolutionnaires, un accueil hostile. Mais telle est la dialectique de l’histoire que, lorsque nous arrivâmes au pouvoir, il nous fallut adopter un autre point de vue pratique et théorique. Nous dûmes démolir, mais aussi édifier ; nous fûmes par conséquent obligés de chercher la synthèse de ces aspects : destruction et édification. Lénine nous l’a donnée dans ses généralisations théoriques. Mais il est extrêmement difficile de formuler ici des thèses précises, car les remarques faites par Lénine sur cette question sont isolées, disséminées dans tous les volumes de ses œuvres, principalement dans ses discours. Il est néanmoins évident que c’est là ce que le léninisme a donné de plus important en tant que système théorique continuant le marxisme, il y a certes, chez Marx, beaucoup d’indications théoriques sur la destruction, mais fort peu sur la construction. Là aussi tout était à créer, et c’est pourquoi il me semble que le plus grand apport théorique qu’ait fait Lénine au marxisme peut être caractérisé ainsi : Marx donna principalement l’algèbre du développement capitaliste et de l’action révolutionnaire, tandis que Lénine y ajouta l’algèbre des nouveaux phénomènes de destruction et de construction et aussi leur arithmétique, c’est-à-dire qu’il déchiffra les formules algébriques sous un point de vue encore plus concret et plus pratique.


LA THÉORIE ET LA PRATIQUE CHEZ LÉNINE


Après ces quelques remarques générales, je voudrais attirer votre attention sur une série de données théoriques et pratiques qui illustreront les idées que j’ai exprimées. Je crois que le fait que Lénine n’ait pu énoncer ses thèses théoriques sous une forme concentrée provient de la prédominance de l’action dans toute sa vie, prédominance découlant à son tour du caractère de notre époque, qui est une époque d’action par excellence. Nous ne pouvons bien agir que lorsque la théorie est entre nos mains un instrument, une arme, que

  1. C’est ce qu’il convient d’appeler, aujourd’hui, les propositions de réformes de structures et autres contre-plans (Mandel-P.S.U), et de façon plus générale les discussions sur la « planification démocratique » (Mallet-C.F.D.T) et sur une contre-stratégie (Gorz). Voir à ce sujet les remarques de E. Copferman et les miennes dans Partisans nos 10, 12, 16, 18 et 20.