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MERLIN L’ENCHANTEUR

plus tard, accoutumait de dire que Notre Sire la lui avait faite telle pour qu’elle fût à la mesure de son cœur qui eût étouffé en toute autre, et qu’au reste, eût-elle été Dieu, elle n’aurait mis en Lancelot rien de plus et rien de moins que ce qui s’y trouvait.

Lorsqu’il voulait, il chantait à merveille, mais ce n’était pas souvent, car nul ne montra jamais moins que lui de joie sans cause. D’ailleurs, s’il avait quelque raison de liesse, on ne pouvait être plus joli et enjoué ; et il disait parfois que, quand il était dans ses grandes gaietés, il n’était rien de ce que son cœur osait rêver que son corps ne pût mener à bien, tant il se fiait en la joie pour lui faire surmonter les pires travaux. En l’entendant parler si fièrement, beaucoup de gens l’auraient accusé d’outrecuidance et de vantardise ; mais non : ce qu’il en disait, c’était pour la grande assurance qu’il tirait de celle dont tout bonheur, justement, lui venait.

Tel fut Lancelot, et si son corps était bien fait, son cœur ne l’était pas moins. Car il était l’enfant le plus doux et le plus débonnaire ; mais un félon, il savait au besoin le passer en félonie. Sa largesse était non pareille : il donnait aussi volontiers qu’il acceptait. Il honorait les gentilshommes, pourtant il ne fit jamais mauvais visage à personne sans bonne raison. D’ailleurs, quand il se courrouçait, ce n’était chose facile que de l’apaiser. Et il était de sens si clair et