Page:Bouniol - Les rues de Paris, 1.djvu/132

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lations dont parle l’Apôtre ; il n’en a point parlé en vain. Le monde en parle encore plus que lui ; toute la nature humaine est en souffrance. Laissons-là tant de mariages pleins de dissensions scandaleuses ; encore une fois, prenons les meilleurs : il n’y paraît rien de malheureux ; mais pour empêcher que rien n’éclate, combien faut-il que le mari et la femme souffrent l’un de l’autre !

Ils sont tous deux également raisonnables, si vous le voulez : chose étrangement rare, et qu’il n’est pas permis d’espérer ; mais chacun a ses humeurs, ses préventions, ses habitudes, ses liaisons. Quelques convenances qu’ils aient entre eux, les naturels sont toujours assez opposés pour causer une contrariété fréquente dans une société si longue : on se voit de si près, si souvent, avec tant de défauts de part et d’autre, dans les occasions les plus naturelles et les plus imprévues, où l’on ne peut point être préparé ; on se lasse, le goût s’use, l’imperfection rebute, l’humanité se fait sentir de plus en plus ; il faut à toute heure prendre sur soi, et ne pas montrer tout ce qu’on y prend ; il faut à son tour prendre sur son prochain, et s’apercevoir de sa répugnance. La complaisance diminue, le cœur se dessèche ; on se devient une croix l’un à l’autre : on aime sa croix, je le veux ; mais c’est la croix qu’on porte. Souvent on ne tient plus l’un à l’autre que par devoir tout au plus, ou par une estime sèche, ou par une amitié altérée et sans goût, et qui ne se réveille que dans les fortes occasions. Le commerce journalier n’a presque rien de doux : le cœur ne s’y repose guère ; c’est plutôt une conformité d’intérêt, un lien d’honneur,