Page:Bourdel, Charles - La science et la philosophie.djvu/15

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nous ne songeons guère à remarquer qu’à l’égard de beaucoup d’autres nous sommes dans ce même état d’ignorance. C’est qu’en effet le privilège de l’ignorance est de s’ignorer elle-même; seul le savant sait qu’il ignore : la foule croit savoir et affirme où le savant hésite et se tait.

Ne nous hâtons pas trop, cependant, de condamner ce penchant à affirmer. Cette présomption de savoir, quand elle est naïve, quand elle ne sert pas de déguisement voulu à l’ignorance, est la chose du monde la plus respectable; il y faut voir non pas seulement la manifestation d’une des plus nobles aspirations de l’homme, mais encore l’ébauche de la science même : elle est à la science achevée ce que sont aux chefs-d’œuvre d’un Phidias et à la frise d’un Parthénon les grossières, lourdes et raides sculptures des temples égyptiens ou assyriens. L’homme a toujours porté en lui-même le besoin impérieux d’expliquer les choses, l’incertitude n’est pas un état où il puisse séjourner et se tenir, car elle répugne à son besoin d’agir : il a donc toujours cherché, à mesure que les nécessités de la vie et de l’action l’exigeaient, à se rendre compte des phénomènes, inventant pour cela le mode d’explication le plus conforme à ses habitudes de penser et le plus approprié à ses