Page:Bourdon - En écoutant Tolstoï.djvu/185

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dance de son information, la beauté morale dont se drapent naturellement ses pensées. Molle ou ardente, caressante ou âpre, sa voix montait gravement dans ce silence ou s’élargissait dans une sorte de bouillonnement intérieur ; parfois, de l’autre extrémité de la salle, la comtesse, le front penché sur une broderie, envoyait vers nous un mot rapide, toujours sage et souvent pittoresque ; et ces petites interruptions achevaient de fixer en moi l’image de Tolstoï, homme de famille et de foyer, le père et le patriarche, — père en cette maison de Iasnaïa Poliana, et patriarche de cette humanité dont chaque vibration décuplée retentit sur son cœur sonore.

Et je songeais à toute cette neige, à tout ce froid, à ces arbres nus, à ces plaines désertes, à l’immensité morne et glacée qui nous entourait, et qui développe sans fin dans la nuit sa misère blanche, à travers toute la Russie et la Sibérie pitoyable et l’homicide Mandchourie, jusqu’au bout de la terre, jusqu’à d’autres glaces qui sont les glaces de la mer et vont rejoindre le pôle…