Page:Bourdon - En écoutant Tolstoï.djvu/251

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tenir cette thèse que le bien sort de l’excès du mal est un agréable exercice à l’usage des philosophes obtus. Pangloss s’y livrait avec conviction. Mais les pauvres diables dont on fait la chair à canon conservent tout de même le droit d’être d’un avis contraire. Malheureusement, ils n’ont pas le courage de leur opinion. De là vient tout le mal. Ayant pris depuis longtemps l’habitude de se laisser massacrer pour des questions auxquelles ils ne comprennent rien, ils continuent, persuadés que les choses sont bien ainsi. C’est pourquoi il y a, en ce moment, là-bas, des cadavres dont les crabes sont en train, sous les flots, de dévorer les membres mutilés.

Je ne sais pas, lorsque la mitraille brisait, renversait tout autour d’eux, s’ils étaient contents de savoir que c’était pour leur bien et afin de retremper l’âme de leurs contemporains, qui a perdu son ressort par l’excès de la civilisation. Les malheureux n’avaient sans doute pas lu Joseph de Maistre. Je recommande aux blessés de le lire, entre deux pansements. Le chapitre consacré à « la destruction violente de l’espèce humaine » leur découvrira des horizons.

Ils apprendront que la guerre est nécessaire, comme le bourreau, parce qu’elle est, comme lui, l’émanation de la justice de Dieu. Et cette forte pensée leur sera une consolation quand la scie du chirurgien leur entamera les os. (H. Harduin.)